La crise des taxis de 1980

TaxisEn 1980, le Québec vit des heures de dépression économique. Cette situation résulte en une concurrence accrue en ce qui concerne les emplois dans les secteurs plus précaires. Parmi ceux-ci, on compte notamment les chauffeurs de taxi 1) Françoise Morin, « Entre visibilité et invisibilité : les aléas identitaires des Haïtiens de New York et Montréal », Revue européenne des migrations internationales, vol, 9, no. 3 (1993), p. 156. . Suite à la seconde vague d’immigration haïtienne au Québec, de nombreux immigrants se tournent vers l’industrie du taxi pour obtenir une rémunération stable et acceptable. L’augmentation de la représentativité des Haïtiens au sein de cette industrie est bien visible à travers les chiffres : en 1978, on compte 300 chauffeurs haïtiens à Montréal, en 1982, ils sont 800 2) S.A.,« Petites histoires du racisme : la commuanuté haïtienne», Le journal Taxi, vol. 11, no. 4 (automne 2009), p. 10. . Cet accroissement rapide de la présence haïtienne dans l’industrie du taxi montréalaise ne se fait pas sans heurts. En effet, en 1980 une crise éclate au sein de ce milieu, alors que sont dénoncées les pratiques racistes des gérants des compagnies de taxi.

 

Cette crise donnera lieu à la naissance du premier regroupement des travailleurs haïtiens de l’industrie du taxi au Québec, le Bureau de la Communauté Chrétienne des Haïtiens de Montréal 3) Françoise Morin, Op. cit., p. 156. . En mars 1982, plusieurs chauffeurs de cette communauté ethnique se rassemblent et déposent une plainte formelle à la commission des droits de la personne du Québec. Cette dernière décide d’ouvrir une enquête à ce sujet, laquelle s’étendra de 1982 à 1983 et se terminera avec le dépôt, l’année suivante, d’un rapport confirmant l’existence de pratiques discriminatoires envers les chauffeurs de taxis noirs par les compagnies effectuant la répartition des clients 4) Ibid. . Dans le texte qui suit, nous avancerons l’hypothèse que la crise des chauffeurs de taxi de 1980 révèle l’existence d’un racisme structurel au sein des compagnies de taxis montréalaises, qui n’est pas uniquement imputable aux demandes des clients comme le prétendent celles-ci.

 

Crédits image: BANQ, Fonds Serge Jongué
Crédits image: BANQ, Fonds Serge Jongué

 

Même avant le dépôt du rapport de la commission, le racisme omniprésent dans le milieu du taxi montréalais fait les manchettes des journaux à plusieurs reprises. C’est le cas notamment lors de la dernière journée d’audience de la commission d’enquête. Lors des dernières audiences, plusieurs chauffeurs manifestent à l’extérieur du palais de justice pour dénoncer les pratiques trop courantes dans leur milieu professionnel. La journaliste Agnèle Dagenais du journal Le Devoir se rend alors sur place pour interroger les manifestants, qui sont au nombre d’une soixantaine 5) Angèle Dagenais, « Une soixantaine de chauffeurs noirs manifestent devant le Palais : un gérant dit avoir congédié 18 noirs par  “exprès” », Le Devoir, 29 juin 1983. . On y apprend que plusieurs compagnies de taxi ont des politiques discriminatoires, allant jusqu’au refus total d’engager des chauffeurs noirs 6) Ibid. . C’est un climat de travail tendu qui se reflète dans les propos des travailleurs haïtiens. Il existe une rivalité entre les chauffeurs blancs et noirs au sein des entreprises qui engagent ces derniers. Lors de la répartition des clients par les gérants, ceux-ci favorisent les chauffeurs blancs, et expliquent ces gestes en prétextant simplement se plier aux préférences et demandes explicites des clients 7) S.A., « Début de l’enquête Haïtiens incriminent les chauffeurs blancs : un Blanc impute aux Noirs la baisse de clientèle », Le Devoir, 13 janvier 1983. .

 

À travers cet article de journal, on peut constater que l’industrie montréalaise du taxi est réticente à accepter la mixité ethnique, qui demeure un fait assez récent pour elle dans les années 80 8) Angèle Dagenais, Op. cit. . Ce fait est particulièrement visible à travers le témoignage de M. Benoît Leclerc, de la compagnie SOS Taxi. Ce dernier affirme que sa compagnie est désavantagée par rapport à d’autres, de par le fait qu’elle engage des chauffeurs noirs 9) Ibid. . On peut donc déduire de ses propos qu’il existe réellement une demande expresse pour les chauffeurs de taxi blancs chez les clients, et que l’industrie du taxi prend le parti de ces derniers lorsque vient le temps de répartir les taxis. Le racisme dans l’industrie du taxi montréalaise de doit donc pas être compris comme un fait isolé à ce milieu, mais plutôt comme un élément révélateur d’un certain racisme au niveau de la population québécoise dans les années 80. De plus, ce témoignage révèle l’absence de protection des travailleurs noirs contre les décisions de leurs supérieures lorsque celles-ci sont basées sur des mesures discriminatoires et qu’on se plie aux exigences des clients, lesquelles défavorisent un groupe ethnique en particulier. La devise «le client est roi» a un goût amer pour les chauffeurs haïtiens, car les exigences spécifiques de ceux-ci font en sorte que les compagnies de taxis sont réticentes à se doter de lignes de conduite défavorables au racisme insidieux 10) Jean-Pierre Bonhomme,  « Dans l’industrie du taxi : un monde de peurs et de discriminations », La Presse,  11 juillet 1983. . Face à ce problème, les chauffeurs de taxi noirs n’ont d’autre recours que de déposer une plainte contre la commission des droits de la personne, puisqu’ils ne sont pas les bienvenus au sein des associations des chauffeurs de taxi 11) S.A.,« Petites histoires du racisme : […]», Op. cit., p. 10-11. .

 

Il est à noter que, malgré les allégations des patrons des compagnies de taxi, qui renvoient la faute de la discrimination sur les épaules des clients, ils demeurent complices du racisme de ces derniers. De plus, le témoignage de M. Benoît Leclerc laisse entendre que la discrimination au sein de l’industrie du taxi ne provient pas uniquement des clients. M. Leclerc affirme avoir congédié 18 chauffeurs noirs dans un excès de colère, lorsqu’il a appris la perte d’une concession concernant l’exclusivité de sa compagnie de taxi pour ce qui est de desservir le centre d’achat Normandie, en juillet 1982 12) Angèle Dagenais, Op. cit. .

 

En conclusion, le rapport de la commission des droits de la personne se révèle décevant pour les instigateurs de la requête originelle. Bien qu’il témoigne d’une prise de conscience envers des pratiques déloyales envers les employés noirs et haïtiens, ce rapport n’impose pas de mesures précises aux compagnies de taxi pour enrayer le problème du racisme et de la discrimination 13) Commission des droits de la personne du Québec, Enquête sur les allégations de discrimination raciale dans l’industrie du taxi à Montréal, Montréal, 1984, p. 49. .

 

References   [ + ]

1.  Françoise Morin, « Entre visibilité et invisibilité : les aléas identitaires des Haïtiens de New York et Montréal », Revue européenne des migrations internationales, vol, 9, no. 3 (1993), p. 156.
2.  S.A.,« Petites histoires du racisme : la commuanuté haïtienne», Le journal Taxi, vol. 11, no. 4 (automne 2009), p. 10.
3.  Françoise Morin, Op. cit., p. 156.
4.  Ibid. 
5.  Angèle Dagenais, « Une soixantaine de chauffeurs noirs manifestent devant le Palais : un gérant dit avoir congédié 18 noirs par  “exprès” », Le Devoir, 29 juin 1983.
6.  Ibid.
7. S.A., « Début de l’enquête Haïtiens incriminent les chauffeurs blancs : un Blanc impute aux Noirs la baisse de clientèle », Le Devoir, 13 janvier 1983.
8.  Angèle Dagenais, Op. cit.
9.  Ibid.
10.  Jean-Pierre Bonhomme,  « Dans l’industrie du taxi : un monde de peurs et de discriminations », La Presse,  11 juillet 1983.
11.  S.A.,« Petites histoires du racisme : […]», Op. cit., p. 10-11.
12.  Angèle Dagenais, Op. cit. 
13.  Commission des droits de la personne du Québec, Enquête sur les allégations de discrimination raciale dans l’industrie du taxi à Montréal, Montréal, 1984, p. 49.

1937 : Début des relations diplomatiques entre le Canada et Haïti

Il s’agit des premières relations diplomatiques que le Canada entretient en son nom propre, alors qu’il est un pays à part entière et possède le contrôle de ses échanges internationaux depuis le Statut de Westminster, en 1931. Ces échanges donnent notamment lieu à la visite de nombreux étudiants haïtiens au Canada dans les années 1930, qui choisissent d’effectuer leurs études en ce pays. Cette diplomatie des cerveaux s’accompagne également des débuts d’une diplomatie religieuse. En effet, on assiste dans ces années aux premiers balbutiements des missions religieuses catholiques canadiennes en Haïti. À cause du partage de la langue française et de la foi catholique, les liens entre le Québec et la Perle noire des Antilles deviennent particulièrement solides.

19 janvier 1962 : Réforme de l’immigration au niveau fédéral

Le gouvernement canadien, avec le parti conservateur au pouvoir, fait adopter une réforme des mesures d’immigration au pays. Celle-ci abolit notamment les mesures discriminatoires basées sur la race en ce qui concerne l’immigration. Ce projet fut déposé à la Chambre des communes par la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Ellen Fairclough. Il s’agit d’une mesure importante, car elle favorisera grandement l’arrivée massive d’immigrants haïtiens au Canada dans les années suivantes.

1955-1965 : Première vague d’immigration haïtienne au Québec.

Cette première grande augmentation de l’immigration haïtienne au Québec est due à la prise de pouvoir du dictateur François Duvalier en Haïti. Le champion du mouvement noiriste se révèle rapidement hostile à la présence de populations blanches et mulâtres, qu’il considère comme des traitres à la nation haïtienne depuis ses origines. L’idéologie populiste de Duvalier fait également de lui un ennemi de l’élite intellectuelle haïtienne, qui compose en grande partie la première vague d’immigrants haïtiens des années 50-60 au Québec. Cette arrivée de professionnels (médecins, enseignants, etc.) est la bienvenue dans un Québec alors en manque de cadres et de personnel qualifié.

1972 : ouverture du Bureau de la communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal et de la Maison d’Haïti

logoLa fondation de ces deux organismes représente un moment fondamental dans l’organisation de la communauté haïtienne de Montréal. Ces institutions ont pour mission d’aider les nouveaux immigrants à s’intégrer dans leur nouveau pays en tentant de les soutenir dans les défis importants que pose l’arrivée l’immigration. Ils assistent notamment les nouveaux arrivants en mettant à leur disponibilité des cours en tous genres et en les aidant dans leur recherche d’emploi et de logement.

Novembre 1972 : Déportation de nombreux immigrants haïtiens

En 1972, les politiques canadiennes en matière d’immigration changent de nouveau. Avant la mise en place de cette réforme, il était possible pour les individus voulant immigrer au Canada d’obtenir leur admission comme résident au pays à partir du Canada. Ainsi, plusieurs Haïtiens quittaient leur pays natal en prétextant un voyage, mais sans jamais revenir, et obtenaient leur visa de résident une fois sur place. Suite à la réforme de 1972, il n’est désormais plus possible de procéder ainsi, car la demande d’admission doit être faite au pays d’origine, ce qui complique le processus. Cependant, la nouvelle de ces changements ne parvient pas en Haïti, et les agences de voyages profitent de l’ignorance de leurs clients. Les autorités canadiennes se retrouvent donc avec un afflux constant d’immigrants illégaux, et décident face à cela de menacer les nouveaux arrivants de déportation. Cette attitude intransigeante des autorités canadiennes provoque la mobilisation de la communauté haïtienne de Montréal, particulièrement lorsqu’on annonce la déportation de 1500 immigrants illégaux. Suite aux pressions de la communauté et des médias, les autorités canadiennes se ravisent et 55% des menacés de déportation obtiennent leur visa de résidence.

Milieu des années 70 : Seconde vague d’immigration haïtienne au Québec

Cette seconde vague d’immigration est due à un retour aux pratiques de torture et de persécutions par le régime Duvalier en Haïti. La peur des violences commanditées par le gouvernement affecte cette fois toutes les couches de la population haïtienne, ce qui a pour effet de faire de la seconde vague d’immigration un mouvement de populations moins spécialisées. Les nouveaux immigrants ne sont plus seulement des membres de l’intelligentsia haïtienne, mais également des ouvriers, des paysans, etc.  Tandis qu’on qualifiait la première vague d’«exode des cerveaux», on parle ici d’«exode des bras». Avec le conteste de récession qui s’abat sur le Québec au début des années 80, cette immigration est moins bien perçue par les Québécois, qui la perçoivent comme une concurrence accrue pour les emplois les plus affectés par la crise.

1983 : Crise du Sida

Avec l’apparition du Sida durant les années 80, les Haïtiens sont pointés du doigt, au Québec et au Canada, pour l’introduction de cette maladie. La communauté haïtienne est particulièrement outrée lorsque la Croix-Rouge canadienne produit et distribue des tracts dans lesquels il est demandé aux gens de cette origine ethnique de ne pas faire de dons de sang. Cet épisode est représentatif d’une décennie des années 80 marquée par les épisodes de stigmatisation raciale de la communauté haïtienne au Québec.

4 août 2005 : Nomination de Michaëlle Jean au poste de Gouverneure Générale

152910-gouverneure-generale-canada-michaelle-jeanLe Premier Ministre Paul Martin désigne en 2005 Michaëlle Jean comme nouvelle Gouverneure Générale du Canada. Cette nomination, d’une québécoise d’origine haïtienne, plus qu’une simple anecdote anodine est vécue comme une grande fierté pour la communauté haïtienne du Québec. Pour cette communauté qui demeure informée des actualités en Haïti et qui voit la qualité de vie dans leur pays natal stagner ou avancer à petits pas depuis plusieurs années, la réussite sociale d’une des leurs est vécue comme une grande fierté. Exilée avec ses parents en 1968 au Québec, la nouvelle Gouverneure Générale devient un exemple d’ascension sociale et de détermination pour la communauté dont elle origine.

12 janvier 2010 : Séisme en Haïti

Crédits image: Journal Metro
Crédits image: Journal Metro

Le 12 janvier 2010, un tremblement de terre d’une magnitude de 7,0 sur l’échelle de Richter frappe Haïti. À Montréal, la communauté toute entière vit des heures d »inquiétudes et de tristesse, alors que l’attente pour des nouvelles de proches se fait longue et difficile. En réaction à cette catastrophe, la communauté montréalaise se rassemble, s’entraide et pleur ensemble ses disparus. Ce rassemblement s’effectue en grande partie autour de l’organisme La Maison d’Haïti, qui est transformé pour l’occasion en centre de gestion de crise. L’organisme met à la disposition de la communauté, dans les semaines qui suivent, 250 bénévoles qui se relaient pour assurer soutient, soins psychologiques et soins médicaux aux gens affectés par cette tragédie. Ce sont plus de 4500 familles qui aidées par la Maison d’Haïti suite au tremblement de terre.